LA TENTATION DE L’UNITE :

 

N’est-ce pas le symptôme d’un orgueil et d’une nostalgie qui refusent les conditions de la vie incarnée ;l’obscur désir d’être Dieu ; de ravir à l’Etre son privilège. Et, certes, l’union est plus difficile ; elle exige de la générosité, beaucoup d’intelligence et d’amour. Elle est respectueuse, humble, patiente ; elle a tous les attributs de la charité ; en elle, la douleur de la distance se mêle si intimement au bonheur de la rencontre qu’on ne les distingue plus : souffrances fécondes que submerge la grande joie de se sentir proches.

 

L’unité des églises ? Pauvre victoire ou plutôt que de défaites pour chacun ! Quand se décidera-t-on à considérer l’effort vers l’union comme une fin en soi ? effort dont l’aboutissement n’est ni possible en ce monde, ni souhaitable. Dans tous les domaines la variété est plus riche que la monotonie et n’y a-t–il pas plus d’être dans une convergence que dans une identité ?

 

Les religions sont férues d’unité. Dans le domaine de l’invérifiable, l’unité fait fonction de preuve ; on dirait qu’elle renforce la foi. La lettre du dogme est d’autant plus importante que le dogme est moins sûr et plus mystérieux : on s’accroche frénétiquement aux détails, peur de voir l’ensemble se dissoudre. La passion de l’unité suscite et foudroie en même temps les hérétiques : une orthodoxie ne peut admettre les différences, les nuances sans se sentir atteinte dans ses œuvres vives ; elle préfère la mort dans la pureté au « syncrétisme ».

 

Convaincue d’apporter une vérité totale, il lui est impossible de se situer par rapport à une autre vérité et d’admettre qu’elle puisse à ce contact s’enrichir. Elle vit sur soi, close sur soi. Misérable conséquence de nos limites intellectuelles !

 

Quand arriverons-nous à reconnaître la part de vérité que nous apportent ceux qui ne pensent pas exactement comme nous ?

 

         Quand saurons-nous apprécier la magnificence d’une création qui se manifeste non seulement dans la somptuosité de la nature, mais dans la vérité et la singularité des esprits ?

 

         Et quand cesserons-nous de déplorer comme un malheur ce qui rend indéfiniment possibles de nouvelles unions toujours plus fécondes et toujours plus créatrices ?

 

         Engendrer, n’est-ce pas d’abord unir ?

        

           (Interrogations autour de l’essentiel. Jean Onimus. Desclée de Brouwer. 1967)

        

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